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Le Monde de NEOMA

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Partout où elles sont mises en place, les aides à l’achat de véhicules électriques dopent leurs ventes. Mais une étude menée par quatre coauteurs, dont Yiping (Amy) Song, de NEOMA Business School, montre qu’en parallèle, le marché des véhicules thermiques ne recule pas… Ces aides coûteuses pour les États et le contribuable n’ont donc pas d’impact sur les émissions de gaz à effet de serre. Alors, faut-il les repenser ?

L’idée est si répandue qu’elle fait presque figure d’évidence : mettre en place des aides à l’achat de véhicules électriques (VE), c’est bon pour le climat, puisque des véhicules « propres » se substituent ainsi à des véhicules polluants.

Vente de véhicules électrique : + 250 %

Or ce paradigme est battu en brèche par quatre chercheurs qui se sont penchés sur le marché automobile chinois, premier marché mondial du VE. Ils ont observé plus précisément la période 2010 – 2015, pendant laquelle un dispositif d’aide à l’achat, l’EVSS (Electric Vehicle Subsidy Scheme), était proposé aux particuliers dans plus de 80 villes du pays.

En apparence, il a parfaitement fonctionné : + 250 % en moyenne pour les ventes de VE, et plus encore dans les agglomérations enregistrant les taux de pollution les plus élevés. Mais les ventes de véhicules thermiques, elles, se sont maintenues peu ou prou au même niveau. Y compris dans ces cités très polluées, ou dans celles où les carburants étaient les plus chers.

Aucun recul pour les véhicules thermiques

Autrement dit, le marché des VE ne « cannibalise » pas celui du véhicule thermique ; il s’y ajoute, gonfle les ventes des constructeurs et jette sur les routes davantage de voitures. Certes, ces VE émettent sur leur cycle de vie 50 % de gaz à effet de serre en moins, et polluent deux fois moins. Mais pour l’environnement et le budget des États, la facture totale s’alourdit.

Tout juste peut-on remarquer qu’une catégorie de citoyens échappe un peu à cette tendance : les particuliers les plus aisés et les plus diplômés, qui remplacent davantage que les autres un véhicule thermique par un VE. Mais cet effet positif reste marginal.

Les nouvelles technologies ne « tuent » pas les anciennes

Comment expliquer ce phénomène d’expansion du marché automobile, qui remet en cause les politiques publiques d’aides à l’achat de VE ? Les auteurs rappellent d’abord, sur la base de nombreux travaux, que les nouvelles technologies ne remplacent pas automatiquement les anciennes. Il se crée plutôt une concurrence entre les unes et les autres, qui peut durer de longues années.

S’y ajoutent les intérêts stratégiques des entreprises. Sur le marché automobile par exemple, les constructeurs font en sorte de lancer des nouveaux modèles sans « tuer » les gammes existantes. Leur marketing et leur planification des lancements sont tournés vers cet objectif.

Passer du thermique à l’électrique, un choix complexe

Autre considération : les nouvelles technologies ne présentent pas uniquement des avantages. Les aides à l’achat du VE compensent en partie son surcoût, mais ne résolvent pas les problèmes liés à sa faible autonomie et à la rareté des bornes de recharge. Pour le consommateur, passer du véhicule thermique au VE ne relève pas de l’évidence, mais d’un choix complexe.

En l’occurrence, pour l’étude menée en Chine, les auteurs pensent que les ventes de VE pouvaient être le fait de deux profils d’acheteurs. D’abord, des particuliers qui n’avaient pas de voiture jusque-là : ils profitaient de l’effet d’aubaine de l’EVSS pour acquérir un véhicule propre. Ensuite, des ménages déjà propriétaires d’un véhicule thermique et assez aisés pour investir en plus dans un VE.

Dans ces deux scénarios d’achat, il n’y avait pas de substitution. Et s’il existait par ailleurs des particuliers qui profitaient de l’EVSS pour abandonner leur véhicule thermique, ils étaient bien moins nombreux que ceux qui le conservaient ou n’en possédaient pas.

Durcir les conditions d’obtention de l’aide à l’achat ?

Ces résultats rendront perplexes les concepteurs de politiques publiques. De nombreuses études montrent en effet que pour favoriser l’adoption du VE, les aides à l’achat sont nettement plus efficaces que les campagnes d’information ou les mesures incitatives : parking gratuit pour le VE, voies réservées quand le trafic est saturé, installations massives de bornes de recharge, etc. Mais comment maintenir ces aides si leur bilan environnemental est négatif ?

Les auteurs suggèrent deux pistes. D’abord, conditionner l’attribution des aides à la mise au rebut obligatoire d’un véhicule polluant. L’administration Obama, par exemple, a fait ce choix avec son programme Cash for Clunkers (« prime à la casse »), qui a connu un grand succès. La France fait de même avec la prime à la conversion mais maintient son bonus écologique, qui n’impose pas à l’acheteur de remplacer un véhicule thermique.

Véhicule thermique et véhicule électrique, deux marchés distincts

Deuxième piste : un effort massif d’information sur les atouts des technologies vertes. L’étude montre en effet que les ménages chinois aisés et diplômés qui remplacent un véhicule thermique par un VE sont aussi sensibles aux enjeux environnementaux, férus de nouvelles technologies et bien au fait du prix avantageux du kWh électrique par rapport aux carburants fossiles.

Les auteurs conseillent aux constructeurs de VE de cibler leur marketing sur les « profils » définis dans leurs scénarios d’achat : des particuliers qui n’ont pas encore de voiture, et des ménages aisés qui ont déjà un véhicule thermique.

Enfin, ils posent une question de fond : puisque les ventes de VE et celles de véhicules thermiques semblent évoluer de manière cloisonnée, faut-il considérer qu’il existe encore un unique marché automobile ? Ou celui s’est-il scindé en deux marchés distincts ?

En savoir plus

The Effect of Early Electric Vehicle Subsidies on the Automobile Market. Wu, X., Gong, J., Greenwood, B. N., & Song, Y. (Amy)Journal of Public Policy & Marketing. First published October 2022. https://doi.org/10.1177/07439156221134927