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Le Monde de NEOMA

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La réussite d’une entreprise tient d’un savoureux mélange de bons ingrédients, ajoutés au bon moment. Une étude menée par trois chercheurs de NEOMA, Bisrat Misganaw, Dawit Assefa et Ana Colovic, montre que démarrer son activité de manière informelle – sans être déclaré – avant de s’enregistrer auprès de l’État, peut faire partie du succès de la recette dans certains pays.

Les entreprises auraient-elles un intérêt à œuvrer sous le radar des États ? L’économie informelle est une forme d’économie souterraine qui touche les pays du monde entier. Elle se caractérise par des activités non déclarées auprès des institutions de l’État dans la plupart des secteurs : agriculture, bâtiment, services… Loin de l’image des simples « petits boulots », les entreprises informelles sont désormais de plus en plus impliquées dans l’émergence de technologies et de services associés. En pratique, elles ne paient ni taxes, ni impôts, mais ne bénéficient pas non plus de protection juridique ou sociale.

Ce phénomène n’est pas nouveau et existe en proportions variables au sein de nos sociétés. En effet, jusqu’à 50 % des entreprises des pays en voie de développement œuvrent dans l’ombre, contre 15 % dans les États membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont la France fait partie. Mais cette absence de cadre légal n’est pas forcément éternelle. Certains établissements initialement non déclarés finissent par se légaliser après plusieurs années d’exercice. En ce sens, les chercheurs de NEOMA se sont interrogés : quelle est la mécanique gagnante entre durée d’activité informelle et formelle selon les pays ? Comment les années passées sans être déclaré influencent-elles la croissance des entreprises ?

 Pour démarrer, l’entreprise a besoin d’un réseau, pas des services publics

Deux catégories de scientifiques spécialisés en business voient leurs idées s’opposer dans la littérature : les « pro-formel » et les « pro-démarrage informel ». Chacun défend des arguments recevables. Les premiers considèrent qu’exercer dans la légalité soutient la reconnaissance d’une entreprise, favorisant le recrutement et l’accès à des services publics tels que la protection par les tribunaux en cas de litiges. Les seconds défendent au contraire l’idée selon laquelle être déclaré en phase de lancement ralentit la croissance. Un démarrage informel permet de réorienter des fonds habituellement destinés à l’État (taxes, impôts, frais d’enregistrement…) au profit du développement de l’entreprise. Aussi, il a été constaté qu’à son lancement, une société s’appuie davantage sur le réseau de ses dirigeants que sur les services publics pour obtenir des ressources et une légitimité.

Au-delà de 7 ans, l’entreprise aura besoin de nouvelles ressources

En réalité, le lien entre l’informalité initiale et la performance à long terme des entreprises n’est pas linéaire. C’est ce que démontre l’étude menée par les chercheurs de NEOMA sur plus de 49 520 entreprises issues de 116 pays. Selon eux, commencer de manière informelle est certes généralement propice au développement d’une entreprise. Mais cela n’est vrai que jusqu’à un certain point. Après 7,52 années d’activité dans l’ombre, les avantages de l’informalité deviennent négligeables. En cause : l’augmentation des coûts servant à maintenir la société à flot, l’accès restreint à des ressources externes et le réseau personnel qui, au bout d’un moment, s’épuise.

Toutefois, ces résultats dépendent fortement de la qualité des institutions des États dans lesquels les établissements sont implantés. Ce constat explique notamment pourquoi le phénomène d’économie informelle est plus important dans les pays en développement.

Quand les États favorisent l’activité informelle

Les pays en voie de développement souffrent d’une bureaucratie parfois complexe et offrent peu d’avantages aux nouvelles entreprises. De fait, le contexte incite les entrepreneurs à œuvrer initialement dans l’ombre. Or, les chercheurs montrent que plus la qualité des institutions est faible, plus l’entreprise a intérêt à exercer longtemps sans être déclarée. Les États développés jouissent quant à eux de réglementations solides et claires, soutenues par des agences stables qui limitent cet effet. Les auteurs de l’étude attirent donc l’attention des décideurs politiques quant aux limites de leurs systèmes.

Réduire les coûts de l’entrée dans l’économie formelle  

Pour autant, durcir les peines en vue d’entériner les activités non déclarées – stratégie adoptée par les pays en développement – ne suffirait pas. Alors comment faciliter le transfert vers le secteur formel ? Les chercheurs de NEOMA recommandent aux États de proposer des ressources alternatives. Dans une perspective misant davantage sur la carotte que sur le bâton, l’idée est d’inciter les entreprises à se légaliser en multipliant les avantages associés. Par exemple, en simplifiant et réduisant les coûts de l’enregistrement des sociétés, ou en proposant aux entrepreneurs des avantages tels que la formation. L’enjeu est de réduire la proportion d’entreprises non déclarées, afin que celles-ci contribuent pleinement à l’économie locale et nationale.

Pour en savoir plus :

Bisrat A. Misganaw, Dawit Z. Assefa, Ana Colovic. (2023). Is starting and staying unregistered longer beneficial for firms? The moderating role of institutional quality. International Journal of Entrepreneurial Behavior & Research, Vol. 29 No. 2, pp. 433-458. . https://doi.org/10.1108/IJEBR-07-2022-0582