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Le Monde de NEOMA

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Professeur d’économie à NEOMA, Nathalie Janson connaît bien les mécanismes de l’inflation. Alors que le sujet est plus que jamais d’actualité, elle décrypte pour nous la hausse des prix actuelle. Une tendance amorcée bien avant le conflit en Ukraine. 

Les prix de l’énergie flambent. En cause, la guerre en Ukraine, mais pas seulement. Le contexte était déjà tendu avant le 24 février.

La guerre en Ukraine accentue en effet des tendances déjà présentes sur le marché du pétrole. La vigueur de la reprise économique conjuguée à une remise en route progressive de la production du pétrole explique les pressions à la hausse. L’offre s’ajustait doucement pour deux raisons : la production est faiblement élastique – l’exploitation des puits de pétrole n’est pas une activité dont le rythme de production est flexible ; et le secteur – y compris le gaz de schiste aux USA – est peu enclin à accroitre les capacités de production compte tenu des politiques de lutte contre le réchauffement climat.

Le conflit russo-ukrainien vient donc renforcer cette hausse structurelle du prix du pétrole post-COVID.

Oui, la Russie est le troisième producteur après l’Arabie Saoudite et les USA et le deuxième exportateur. Les sanctions prononcées à son encontre rend l’approvisionnement difficile et à risque dans les mois à venir. A cela s’ajoute un taux de change euro/dollar défavorable. L’Euro est à son plus bas, autour de 1.10$ alors qu’il était à 1,60$ en 2008 lorsque le baril de pétrole était monté jusqu’à 140$. En 2008, le prix de l’essence n’avait pourtant pas atteint les 2€ mais « seulement » 1,50€.

Pour le blé, là aussi la situation était tendue bien avant le conflit.

En effet, la mauvaise récolte de l’été 2021 en raison des fortes chaleurs et les récoltes contrariées en Amérique du Sud dues à de fortes pluies n’ont pas créé un contexte favorable. L’Ukraine représente 12% des exportations mondiales.

Plus globalement, depuis début 2021, on assistait à une reprise de l’inflation. Quelle était la cause de cette hausse des prix ?

Pendant la pandémie, le gouvernement français a soutenu les entreprises en maintenant les salaires. De son côté, la Banque centrale européenne (BCE) a racheté massivement les dettes souveraines pour faciliter le financement des dépenses publiques. L’économie a été à l’arrêt à chaque confinement, les salariés ont été contraints d’épargner leurs revenus faute de pouvoir consommer. Le retour à l’activité a entraîné un goulot d’étranglement en raison du montant important de liquidités en circulation.

Cela fait donc plus d’une décennie que les banques centrales occidentales font tourner la planche à billets. Comment expliquer que l’inflation n’arrive que maintenant ?

Il y a à ce sujet un désaccord entre les économistes keynésiens, qui ont soutenu les politiques généreuses de rachat massif de dettes, et les libéraux.

Pour les économistes keynésiens, l’inflation actuelle est liée aux circonstances exceptionnelles créées par la pandémie, notamment les goulots d’étranglement.

Les économistes libéraux en revanche interprètent la bulle des actifs en cours depuis dix ans sur les marchés financiers, sur le marché de l’art et sur le marché des cryptomonnaies et des NFT comme une manifestation de l’inflation qui s’étend désormais aux biens et aux services.

Peut-on craindre un scénario catastrophe avec des taux d’inflation à deux chiffres comme en Amérique latine ou en Turquie ?

Heureusement non car nos économies occidentales sont beaucoup plus ouvertes – même si le COVID et le conflit russo-ukrainien restreignent cette ouverture – et nos monnaies dominantes, ce qui nous permet d’exporter notre inflation, contrairement aux pays en développement qui ont un accès limité aux biens et aux services et une monnaie instable. De plus, en Amérique latine les Banques centrales achètent parfois directement la dette à l’État, qui souvent ne maîtrise pas sa dette publique en raison d’un État trop présent et corrompu.

Par ailleurs, la BCE a décidé un peu à la surprise générale d’accélérer la fin de son programme de rachats d’actifs spécial pandémie et la FED a commencé à augmenter ses taux. Il faut espérer que ces décisions puissent entraver l’accélération de l’inflation mais rien n’est sûr étant donné que les processus d’inflation sont difficilement contrôlables. Les tensions sur les prix des matières premières sont durables et contribuent à sa propagation via les revendications salariales. Les liquidités injectées par les programmes massifs de rachat d’actif pourraient se réorienter des marchés financiers vers les marchés des biens et services.

 

Article paru dans le magazine des Alumni n°30

Propos recueillis par Pauline Bandelier le 16 février, et mis à jour le 22 mars par NEOMA