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Le Monde de NEOMA

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Quand des entreprises concurrentes mettent leurs forces en commun (on parle de « coopétition ») pour innover, elles ne peuvent pas se contenter de partager des compétences ou d’investir ensemble : elles ont aussi besoin de managers « ambidextres », capables de tirer le meilleur parti de ces ressources mutualisées. C’est ce qui ressort d’une étude qui s’appuie sur l’expérience de 300 sociétés industrielles pratiquant la coopétition, par Antony Paulraj, professeur à NEOMA, et ses coauteurs, publiée en septembre 2022 dans la revue International Journal of Operations & Production Management.

Sony, Samsung, Toyota, Microsoft… Ces sociétés mondialement connues pratiquent la « coopétition » pour innover en mutualisant les coûts. Avec des fortunes diverses : Sony et Samsung ont développé ensemble des écrans de téléviseurs LCD de nouvelle génération et investi six milliards de dollars pour les fabriquer. À l’inverse, Microsoft n’a pas réussi à s’imposer sur les moteurs de recherche et la cartographie en ligne, malgré de multiples alliances stratégiques.

Coopétition : 300 entreprises témoignent

La coopétition comporte donc des risques et des incertitudes. Il faut préciser aussi qu’elle n’est pas réservée aux géants industriels : des sociétés de taille plus modeste voire des PME s’y essaient. L’étude publiée par trois chercheurs intéresse à ce titre un large public, d’autant qu’elle s’appuie sur des données de terrain conséquentes : plus de 300 entreprises industrielles de cinq pays (Royaume-Uni, Irlande, Pays-Bas, États-Unis et Canada) ont partagé leur expérience en la matière.

L’investigation a porté sur trois questions :

  • Les investissements réalisés en commun jouent-ils dans la réussite du processus d’innovation ?
  • Le partage de compétences (en management, conception, développement de produits…) participe-t-il à la réussite du processus d’innovation ?
  • Comment les managers contribuent-ils à convertir ces ressources partagées en innovations ?

Associer innovation incrémentale et innovation de rupture

Les chercheurs ont abordé ces trois thèmes sous l’angle de l’« ambidextrie ». Ce terme désigne à l’origine la capacité à se servir avec la même habileté de la main droite ou de la main gauche. Les experts en coopétition, eux, parlent de relations « ambidextres » entre les entreprises : elles coopèrent tout en restant concurrentes. De même, on désigne sous le terme « d’innovation ambidextre » la recherche en parallèle d’innovations incrémentales (on améliore les produits et process existants) et d’innovations de rupture (on invente de nouveaux produits ou process).

Quant au « management ambidextre », il désigne la capacité d’un manager à mener de front deux activités : exploiter au mieux les ressources dont il dispose – produits, process, compétences, connaissances – et explorer de nouvelles pistes en se formant, en créant des produits ou des process, etc.

Investir en commun, un excellent début pour innover

Le management ambidextre est précieux dans un contexte de coopétition, quand les managers ont accès à un nombre élargi de ressources et d’opportunités. Les réponses des 300 entreprises consultées vont même plus loin ; elles montrent que le management ambidextre est vital pour réaliser de l’innovation ambidextre.

L’étude, rappelons-le, s’intéressait aussi au rôle des investissements communs et du partage de compétences. Tous deux sont considérés dans la littérature scientifique comme favorables à l’innovation ambidextre. Or, c’est un autre son de cloche qui est venu des retours du terrain.

Certes, ceux-ci confirment que les investissements communs sont bénéfiques : construire des usines ensemble, former les équipes du partenaire, reconfigurer des process crée un terreau propice à l’innovation. Ce terreau sera d’autant mieux fertilisé que les managers ont de réelles capacités d’ambidextrie : savoir optimiser et innover, en parallèle et en permanence.

Partage de compétences : peu efficace, voire contre-productif

En revanche, le partage de compétences ne convainc pas les entreprises interrogées. Selon elles, il pourrait même être contre-productif ! Pourquoi ? Parce que le plus souvent, ces compétences sont trop génériques, pas assez pointues pour innover. Elles ont tout au plus le mérite de renforcer les liens entre coopétiteurs.

Là encore, des managers ambidextres peuvent contrebalancer – en partie – cet effet négatif, en intensifiant les échanges avec le partenaire pour trouver des complémentarités. Les auteurs suggèrent aussi une autre piste : partager des compétences plus spécialisées, voire des technologies protégées par des brevets. Sony et Samsung avaient fait ce choix, ce qui explique peut-être leurs succès communs ; en quelque sorte, on reçoit en proportion de ce que l’on apporte.

Un levier de réussite : des managers vraiment « ambidextres »

Les entreprises qui pratiquent la coopétition pour innover tireront trois enseignements de cette étude.

  • D’abord, s’engager avec détermination dans les investissements partagés. Ils renforcent la confiance entre coopétiteurs, les aident à élaborer une vision commune et favorisent l’innovation.
  • Ensuite, ne pas fonder d’espoirs excessifs sur le partage de compétences. Il ne contribue pas à l’innovation et peut même la freiner. Sauf à mettre en commun des compétences très spécialisées.
  • Enfin, accorder une place prioritaire au management ambidextre pour exploiter tout le potentiel de la coopétition. Quand deux concurrents allient leurs forces, le champ des possibles s’élargit. Encore faut-il que les managers s’en emparent pour optimiser ce qui existe, inventer ce qui n’existe pas encore, allouer au mieux les moyens disponibles, saisir les opportunités… De plus, il faut mener toutes ces activités en parallèle, sans en négliger ou en délaisser aucune : c’est la clé du succès.

 En savoir plus

Chandrasekararao Seepana, Antony Paulraj et Palie Smart, Relational resources for innovation ambidexterity within coopetitive relationships: the contingent role of managerial ambidexterity, International Journal of Operations & Production Management – Vol 42, n°12, pp 1969-1994, 2022. DOI 10.1108/IJOPM-10-2021-0666