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Le Monde de NEOMA

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En novembre 2017, le Bitcoin (BTC) faisait une entrée fracassante dans la cour des grands grâce à sa folle ascension sur le marché. Sa valeur de 1000$ en mars 2017 allait brièvement flirter avec les 20 000$ mi-décembre de la même année. C’est ensuite la descente aux enfers pendant toute l’année 2018 avec un cours qui atteint au plus bas les 3500$ en novembre 2018. Cet épisode lui attirera les foudres. Certains comme Warren Buffet ou bien Jaime Damon y voient la réalisation de leur prédiction : le BTC est une « arnaque » et ne survivra pas. Comment une monnaie qui ne repose sur « rien » peut-elle sérieusement envisager de prospérer ?

Deux ans après cette descente aux enfers, le BTC est toujours là, plus vivant que jamais. Il a même connu une phase de rebond importante depuis mai 2020, surfant sur les 10 000$ avec malgré tout une forte volatilité. Par exemple, il a perdu presque 14% entre le 2 et le 6 Septembre après un plongeon important mi-Mars 2020 – juste en dessous du seuil des 5 000$ – lors du krach des marchés suite à la flambée des cas de COVID-19 et de la multiplication du nombre de pays confinés. Alors qu’est-ce qui fait la valeur du BTC ?

Le Bitcoin, une architecture mal comprise

Le BTC a été conçu par Satoshi Nakamoto – sans doute un nom inventé représentant un groupe de développeurs – comme une monnaie « pair à pair » décentralisée dont la production est déterminée par un algorithme avec une limite finie établie à 21 millions qui devrait être atteinte en 2040.

La revendication de ce projet est de créer un système monétaire alternatif où la production monétaire ne peut être altérée par la décision humaine, afin de lutter contre les maux qui ont produit la crise de 2007, à savoir une profusion de crédits incontrôlée par les banques commerciales avec l’assentiment des banques centrales.

La valeur du BTC dérive de ses services : un paiement hautement sécurisé – grâce à l’utilisation de deux clefs de sécurité – et sans intermédiaire donc à faible coût et rapide – 10 minutes, le temps de validation de la transaction.

Etant donné la décentralisation de son architecture, les transactions en BTC se font en dehors du circuit habituel et se dispensent à la fois des banques et des banques centrales mais aussi du gouvernement. Le BTC a donc bien une valeur à défaut d’être indexé sur une matière première ou des titres d’Etat.

Le BTC est une alternative attractive pour tout individu résidant dans un pays où l’instabilité monétaire règne et/ou sous régime de contrôle des capitaux. Malgré sa volatilité, le BTC demeure un moyen de protéger ses avoirs. En outre, depuis son envolée de 2017, le BTC est apparu comme un véhicule d’investissement risqué attractif dans ce contexte de taux d’intérêt faibles voire négatifs. Etant donné son offre limitée, il est par nature déflationniste. Par conséquent, il vaut mieux le détenir que l’utiliser dans les transactions contrairement à son dessein initial.

Malgré la taille modeste de son marché – environ 200 milliards de capitalisation (selon le cours du jour 05/10/2020) – à comparer aux 1 700 milliards de dollars en circulation, le BTC semble s’être institutionnalisé, il existe même un marché futur sur le BTC. Le nombre d’adresses en BTC détenant plus d’1 BTC s’élève à 800 000, ce nombre était de 20 000 en 2010. Le nombre de commerces acceptant le BTC a augmenté – environ 15 000 commerçants dénombrés en mars 2019 – malgré une utilisation comme moyen de paiement qui n’a pas décollé. En France, l’éditeur de logiciels des solutions de paiement pour les commerces Global P.O.S a annoncé en grande pompe en septembre 2019 son nouveau terminal de paiement acceptant le BTC.

La fin du BTC ne semble pas encore pour demain… même si l’annonce du projet Libra de Facebook peut assombrir son futur.

Le projet LIBRA, la force de frappe du réseau Facebook

En juin 2019, Mark Zuckerberg annonce avec fracas son projet de cryptomonnaie appelée LIBRA conçue comme une monnaie stable globale indexée à un panier de monnaies. Une cryptomonnaie avec une valeur fixe reposant sur des monnaies existantes – dollar, euro, pound, yen, dollar de Singapour, est un projet qui prend le contrepied du BTC. Face à l’hostilité des gouvernements, la dernière version de la LIBRA publiée en avril 2020 s’articule autour de deux propositions :

  • Une monnaie stable 100% indexée sur la monnaie locale lorsque la monnaie locale est également disponible en version digitale
  • Une monnaie stable globale comme dans sa version initiale indexée sur un panier de monnaies lorsqu’il n’y a pas de monnaie locale digitale disponible.

Mark Zuckerberg a bien conscience que pour remporter la bataille de l’adoption, il faut qu’une crypto-monnaie soit aussi facile d’utilisation pour les consommateurs que la monnaie qu’ils utilisent habituellement dans leur quotidien, voire même plus facile pour qu’elle remporte l’adhésion. Il faut convaincre les utilisateurs de Facebook d’accepter d’utiliser la LIBRA. Pour ce faire, Facebook devra offrir un nombre important de partenaires sur son réseau et afficher une incitation quant au prix pour préférer LIBRA à la monnaie habituelle.

Pour assurer la stabilité de la valeur de la LIBRA, il faut maintenir des réserves dans la monnaie locale – ou dans les monnaies constituant le panier selon la version de la LIBRA disponible. Ces réserves sont gérées par une institution – la Réserve LIBRA et sont détenues sous forme de comptes bancaires dans différents établissements ainsi que sous forme de titres souverains. La LIBRA est une cryptomonnaie dans la mesure où elle repose sur une blockchain, en revanche sa blockchain contrairement au BTC est avec permission. Cela signifie que la validation des transactions est effectuée uniquement par des participants autorisés – membres de l’Association LIBRA. Cette architecture est différente de la conception ouverte du BTC où tous les membres du réseau assurent son bon fonctionnement.

La publication du projet en juin 2019 a suscité une opposition véhémente de la part des Etats redoutant la force de frappe du réseau de Facebook qui, couplée à la stabilité de la valeur pourrait remporter l’adhésion du public. Les premiers à être séduits seront sans doute les utilisateurs du réseau situés dans les pays à forte instabilité monétaire. Les autorités à la fois américaines et européennes freinent pour le moment le lancement du LIBRA. Le lancement est toujours prévu d’ici la fin 2020.

Cette saine concurrence de projets disruptifs a comme mérite de pousser les Etats eux-mêmes dans une réflexion sur le lancement dans un futur proche d’une monnaie banque centrale digitale qui pourrait précipiter la fin du cash. La banque centrale chinoise est la plus avancée dans ce projet. Un tournant historique !

Nathalie Janson, professeur associé en Economie, NEOMA Business School